La réanimation
Avant toute chose, il doit être rappelé que l’entrée en réanimation n’est pas une solution. C’est un moment de dernier recours devant la mort probable des personnes atteintes, une pratique médicale de dernière chance et de maintien en vie qui n’a que très peu de chances de “réussir” et qui laisse dans la grande majorité des séquelles pour de longues années voire à vie. Le gouvernement français manipule souvent l’occupation des lits réanimation comme critère pour évaluer la situation pandémique, quand ces chiffres là comptent il est pourtant déjà trop tard.
On peut citer les quelques mots de Jean-Pierre Dupuy à ce propos, il ne craint pas mourir de vieillesse, ni même d’accident :
“Ces morts, je ne les crains pas. Mais mourir de cette mort atroce que les soignants décrivent en avouant ne pas trouver les mots qui conviennent, cette agonie que subissent les patients de la Covid-19 lorsqu’ils sont placés sous ventilateur, non, pitié, que l’on m’épargne cette mort-là. La ventilation mécanique, c’est l’inverse de la respiration naturelle. Dans celle-ci, vous gonflez votre cage thoracique en inspirant, ce qui créé une dépression et un appel d’air. Dans celle-là, on vous enfonce une sonde dans la trachée et on vous insuffle de l’air à forte pression pour ouvrir les alvéoles des poumons infectés de liquides divers. Vous êtes anesthésiés au curare, mais les dégâts provoqués par ce forçage brutal sont bien là. Vous êtes comme plongés dans un vaste océan en train de vous noyer. L’oxygène vous manque, comme à une carpe agonisant hors de l’eau, la pression sanguine s’effondre, les reins se bloquent, le cœur s’arrête. Au mois d’avril 2020, à New York, on dit que presque tous les malades du virus de plus de 65 ans qui ont été intubés sont morts. Les 2 ou 3% qui en ont réchappé auraient peut-être préféré mourir. Ils ne sont plus eux-mêmes, ils ont le plus grand mal à respirer, certains à parler, d’autres tout simplement à y penser. Non, vraiment, je ne veux pas mourir de cette mort-là.
On peut immédiatement préciser que l’assistance respiratoire n’implique pas toujours l’intubation. Il faut distinguer le moment où les personnes bénéficient d’un masque leur apportant de l’oxygène du moment bien plus critique et dangereux de l’intubation:
Avant les soins intensifs. Les patients présentant une détresse respiratoire, mais ne nécessitant pas de soins trop lourds, bénéficient d’un support ventilatoire non invasif permettant de maintenir de bons volumes pulmonaires selon une méthode nommée CPAP, pour Continuous Positive Airway Pressure. Le ventilateur, l’appareil d’assistance respiratoire, utilisé est le même qu’en cas de ventilation invasive, cependant l’interface entre le patient et la machine se fait à l’aide d’un masque et non d’une sonde d’intubation.
Grâce à la modulation de la pression de l’air envoyé au patient, la ventilation permet de réduire l’effort respiratoire fourni par le patient, d’augmenter le volume d’air capté par les poumons lors de l’inspiration et de maintenir plus de zones pulmonaires ouvertes.
Les patients peuvent également recevoir une oxygénation à haut débit par voie nasale grâce à des lunettes à oxygène (un dispositif en forme de lunettes avec deux petits tuyaux placés dans les narines).
https://www.heidi.news/sante/aux-soins-intensifs-des-hug-comment-se-deroule-l-assistance-respiratoire
Une augmentation exponentielle n’est pas une augmentation linéaire
Un autre aspect essentiel repose sur la compréhension de ce qu’exponentiel signifie. Là, encore on peut citer Dupuy qui comme tant d’autres a insisté sur cet aspect, comme tant d’autres parce que beaucoup d’autres dans leur salon (et souvent dans le figaro) reprennent peu ou prou l’argument que l’on trouve par exemple chez André Comte-Sponville :
“Faut-il rappeler que le taux de létalité semble être de 1 ou 2% (sans doute moins si l’on tient compte des cas non diagnostiqués)? Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela laisse bon espoir à la plupart d’entre nous” (André Comte-Sponville)
Ou chez Valérie Marange dans le dernier numéro de la revue Chimères:
Pourtant ici les choses me semblent beaucoup moins évidentes, pour la raison que sans être anodine, cette épidémie est bien loin d’être comparable à la peste ou à ces autres grands phénomènes comme le sida qui ont profondément transformé notre rapport au monde, comme le dit aussi désormais l’oms, qui comptabilise 1, 5 millions de morts dans le monde, contre 50 à 70 millions pour la grippe espagnole de 1919. Plus près de nous, la grippe de Hong-Kong de 1969 a fait autant de morts dans le monde (moins peuplé alors) dont 35 000 en France sans susciter aucune mesure particulière ni laisser de trace traumatique. « En 2020, les causes principales de la mortalité vont rester les mêmes que les années précédentes : cancers (neuf millions de morts par an), faim (9 millions de morts par an, il suffit donc de 40 jours à la faim pour tuer autant que le Covid depuis son apparition), pollution, broncho-pneumopathies (3,5 millions), infections respiratoires hors-Covid (2,5 millions, dont 600 000 pour la grippe), tuberculose (un million), paludisme, sida, hépatites, accidents de la route, guerres… La létalité de l’in- fection au Covid Sars 2 serait de 0,5 % environ, sachant que celle de son cousin le sras, qui toucha l’Asie en 2003, était comprise entre 10 et 20 %. Celle de son autre cousin, le mers saoudien est de 40 %. Celle d’Ébola oscille entre 60 et 90 % ». D’autre part l’âge médian des morts du Covid en France est de 81 ans, soit l’espérance de vie moyenne des Français.
“Malaise dans la biopolitique”, Valérie Marange dans Chimères 2020/2 (N° 97)
Par rapport à ces perspectives (notons au passage qu’il a fallu des années avant que l’épidémie de Sida soit prise en compte par les pouvoirs publics et l’opinion, et que cette reconnaissance a été acquise par des mobilisations et des luttes de collectifs de patients et personnes concernées par la maladie. L’importance du Sida s’est imposée par une lutte politique, et en Afrique du Sud ou en Ouganda elle a notamment été dénié bien plus longtemps) , précisons donc :
“On aurait dû signifier à Comte-Sponville qu’il commettait ici un beau sophisme. Le rôle de la parenthèse “(sans doute moins si l’on tient compte des cas non diagnostiqués)” est de signifier que les 1 ou 2 % en question constituent une borne supérieure et uqe la réalité est sans doute encore plus rassurante. Or il devrait être clair à celui qui réfléchit un peu que la prise en compte de cas non diagnostiquées, pour la plupart parce qu’ils sont asymptomatiques (une proportion non encore connue avec précision mais estimée entre 20 et 40 %, ce qui est considérable), ne change rien aux chances de mourir de la Covid-19. Cela diminute certes le taux de létalité, mais les chances d’attraper le virus augmentent dans la même proporition, de sorte que le taux de mortalité rapporté à la population et non plus seulemen t aux cas d’infection reste le même. La létalité est plus faible que ce qu’on pensait, mais la contagiosité du virus est plus forte. On meurt moins si on a le virus, mais il y a plus de chances qu’il vous infecte. (…)
La contagiosité d’un virus, de même que sa létalité, c’est comme l’âge de Napoléon. Cela ne veut rien dire. Sa mesure est le fameux coefficient R, le nombre de contaminations directes qu’un nouveau contaminé produit. Elle était de 3,5 au début de l’épidémie, elle a dégringolé à 0,6 le 11 mai 2020 à la fin de la première phase du confinement. (…) C’est comme une réaciton en chaine atomique : pour R inférieur à 1, l’épidémie s’éteint de sa belle mort, pour R supérieur à 1, c’est l’explosion. Si on avait laissé l’épidémie se développer, c’eut été une catastrophe. Pour un R égal à 3,5, au bout de dix intervalles de temps – chaque intervalle correspondant, disons, à deux semaines -, donc au bout de moins de 6 mois, chaque contaminé aurait été à l’origine de 3,5 à la puissance 10 contaminations, soit plus de 275 000. C’est cela, la magie des fonctions exponentielles. Plus leur valeur est forte, plus l’accroissement étant proportionnel à la valeur. Peut-on dire que c’est une contagiosité “moyenne” ? À son maximum, elle est au contraire extrêmement forte. Heureusement, comme cela a été le cas en France, on a pu la réduire en dessous du point critique par des mesures drastiques”.
Dupuy, la catastrophe ou la vie
Si cette citation est trop longue, il suffit d’en retenir qu’exponentiel indique que la progression du nombre de personnes touchées ne se représente pas avec exactitude par une augmentation linéaire, chaque personne touchée enclenche une courbe de contamination de sorte que de multiples lignes de contamination multiplient à toute allure la croissance de la courbe exponentielle.
Ce mot est au départ un terme mathématique et doté d’un sens très précis. Il est de la famille du mot “exposant”. Lorsqu’on dit d’une fonction mathématique qu’elle est exponentielle, cela signifie donc que ses nombres progressent au fil d’une multiplication constante par une même puissance.
Au fur et à mesure que la variable augmente, le taux de croissance augmente de plus en plus vite. On n’ajoute pas un nombre à chaque instant, comme dans une croissance linéaire, non : on multiplie et cette croissance qui s’emballe est représentée par une courbe de plus en plus verticale.
https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/qu-est-ce-qu-une-croissance-exponentielle-7900022376
En ce sens, un virus plus contagieux est beaucoup plus dangereux qu’un virus à forte létalité. Assez brutalement, on peut convenir qu’un virus très létal tuant ses hôtes se répand forcément beaucoup moins alors qu’un virus moins dangereux ou qui ne l’est pas pour tout le monde se répand justement constamment et à toute vitesse.
Le conflit des hypothèses probables sur la suite du virus
Or, comme le souligne un des textes du blog Il Latto Cattivo, on ne peut que reprendre la conviction:
que c’est le niveau de pression sur les systèmes hospitaliers – plutôt que le nombre absolu de décès ou d’infections – qui allait être le facteur décisif dans l’adoption de mesures visant à limiter la mobilité des individus et, avec eux, la propagation du virus, par les États nationaux (nous nous référons ici au contexte le plus proche de nous, celui de l’Europe occidentale continentale).
http://dndf.org/wp-content/uploads/2021/03/ILC-encore-a%CC%80-propos-de-Covid-19.pdf
En mars 2020, comme en Inde actuellement, c’est la propagation du virus à grande échelle (qui fait toujours plus augmenté le nombre de cas graves et de personnes touchées) qui provoque aussitôt une surcharge hospitalière ingérable face à laquelle l’ensemble des gouvernements cherche à réduire la circulation des personnes pour limiter la pandémie. Cette perspective était aussi notre lecture de mars 2020 au séminaire sur la division politique (https://laparoleerrantedemain.org/index.php/2021/02/11/gestion-pandemique-entre-reaction-a-outrance-et-negligence-ordinaire/).
Dès mars 2020, et plus encore aujourd’hui, on peut souvent retrouver deux façons de se rapporter à ce phénomène de surcharge hospitalière (ici décrites avec une part de caricatures) :
- L’impact de cette maladie est exagérée, elle ne touche que les vieux et son impact pourrait être réduit si utilise les moyens traditionnels de la médecine, les savoirs et les médicaments existants, et qu’on soigne avant toute chose la co-moborditié, car le virus touche mortellement les personnes qui ont des co-morbidité (diabète, âge, organisme affaibli). Cette vision peut s’accompagner d’appels à la santé publique (cf. par exemple Barbara Stiegler dans son tracts paru chez Gallimard “de la démocratie en Pandémie”).
- Ce virus est nouveau et très dangereux, on en connaît pas tous les effets, il va continuellement muter en l’absence de vaccins et pourrait tuer des millions de personnes (plus de 3 millions de morts recensés au jour d’aujourd’hui dans le monde). Il faut en bloquer totalement la circulation et adopter une démarche de Zéro Covid :
Si nous voulons en finir avec la pandémie, vacciner est essentiel. Pourtant, cela ne sera pas suffisant. L’espoir de parvenir à l’immunité collective à la fin de l’été en Europe est en train de s’évanouir. Le déploiement de la vaccination prend du retard et l’apparition de nouveaux variants menace l’efficacité des vaccins existants. D’ailleurs, l’histoire nous a prouvé que la vaccination ne peut, à elle seule, éliminer un virus. Une sortie mondiale du Covid-19 en 2021 paraît donc hautement improbable. Comment faire, alors, pour éviter une succession de confinements ? Freiner aussi vite que possible la propagation du virus et nous engager dans la voie d’un rétablissement durable.
Nous appelons donc les responsables politiques et les citoyens à
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/15/viser-l-objectif-zero-covid-constitue-un-moyen-clair-de-traverser-la-pandemie-en-minimisant-les-degats_6070045_3232.html
définir une stratégie européenne d’élimination fondée sur trois
piliers : la vaccination, l’instauration de « zones vertes », et un
renforcement des modalités de dépistage et de traçage, y compris par le recours aux nouvelles technologies. Le tout accompagné d’une communication claire, cohérente et transparente.
On retrouve ensuite entre ces deux pôles les stratégies gouvernementales:
- dépister/tracer/isoler fortement mises en place au Vietnam, au Japon, en Corée du Sud, en Chine et beaucoup de réalité
- mitigation et stop and go plus ou moins fortement appliqué dans de nombreux pays d’Europe
- Laissez faire comme au Brésil et pendant toute une période aux États-Unis.
La stratégie qui insiste sur les co-morbidités tend vite à minimiser le virus et à rejoindre des positions insistant sur le fait que cela ne touche que les vieux et les vulnérables. Elle n’a rien à dire jusqu’à présent des phénomènes de Covid long et des épidémiologies et virologues qui craignent beaucoup un développement du virus chez les plus jeunes, avec des effets inconnus jusqu’à aujourd’hui. Cette grille de lecture minimaliste a pu être proche des propos du gouvernement français affirmant un temps que les enfants ne contaminaient pas, n’étaient pas un risque, etc. Évidemment, la stratégie zéro covid implique de très lourds moyens et une discipline collective ou imposée très forte, une politique de zéro-covid paraît au jour d’aujourd’hui très difficile à mettre en œuvre et peu désirable tant elle repose sur des formes de contrôles disciplinaires et à grande échelle. Elle est plus directement pratiquée en Nouvelle-Zélande, à Hong-Kong, Australie, bref dans plusieurs pays “insulaires” qui appliquent une gestion très sévère des entrées sur le territoire pour empêcher tout “introduction” du virus (quarantaine de trois semaines en l’hôtel à Hong-Kong par exemple, avec interdiction de voir qui que ce soit et repas sur livraison). Dans cette perspective, la gestion du virus vise son éradication (ou plutôt sa pseudo-éradication en le maintenant à l’extérieur de frontières déterminées, qui peuvent se multiplier à l’intérieur d’un pays dans des salles de concert, des bureaux, etc). Elle s’appuie bien souvent sur des outils numériques.
Dans la protection insulaire comme dans le stop-and-go, les mesures prises peuvent être totalement insensées et ne pas prendre en compte la contagiosité aérosol du virus pour adopter des mesures spectaculaires ou des gestes qui rassurent via du désinfectant de surface. Une quarantaine stricte de 3 semaines, alors même qu’il devrait être possible d’aller à l’extérieur sans risque de contaminer qui que ce soit (si l’on s’en tient au pur critère scientifique) a quelque chose d’absurde et d’évidemment odieux.
Quoiqu’il en soit, on peut admettre que sauf en termes de calcul sur l’acceptabilité des mesures de restrictions, aucuns mouvements politiques fort ni pression populaire ou politique n’a pesé sur les décisions gouvernementales françaises de gestion de la pandémie. Il y a très peu de discussions qui rentrent un peu précisément dans la complexité de la situation, pas plus qu’il n’a été question de soutenir le travail de l’association aprèsj20 qui a grandement participé à imposer une reconnaissance et une prise en charge des covid-longs (https://www.apresj20.fr/). Avant le travail de cette association, les personnes atteintes de symptomes au long cours n’avaient aucun recours et on leur disait le plus souvent que c’était autre chose que la covid ou qu’on ne pouvait rien pour eux et elles.
Il s’agit également d’interroger l’appel à la santé publique, qui va évidemment de soi face au manque cruel de moyens, au manque de personnels soignants, à la destruction depuis de longues années de l’hopital public etc. Bien évidemment, et bien sûr, mais l’enjeu est de ne pas en rester à ce constat d’indignation et de trouver comment et par où mettre en œuvre un réinvestissement massif dans la santé publique, alors même que cette mobilisation a eu très peu d’impact à l’été 2020 et a vite tourné court malgré la forte mobilisation des soignants, du collectif bas les masques et de beaucoup d’autres. Cette défaite pose question. De plus, une fois plongé dans l’urgence comme en Inde actuellement, comment tenir cet appel à la santé publique tout en bataillant pour une intervention immédiate et un soin rapide et immédiat avec tous les moyens disponibles? Tous les textes qui minimisent le virus ne peuvent que laisser bien dépourvus quand les morts augmentent et que la pandémie pèse réellement, qui oserait actuellement rappeler aux indiens dans le confort de son salon que la mortalité est faible ou que cela ne tue que les vulnérables déjà affaiblis ?
Pandémie en Inde actuellement

Les médias indiens rapportent une surcharge hospitalière massive et catastrophique. (https://www.nytimes.com/2021/04/20/opinion/india-covid-crisis.html). Les hôpitaux d’Ahmedabad (principale ville du Gujarat, environ 6 millions d’habitants) manquent d’oxygènes pour soigner les patients et de nombreux reportages montrent des lignes et des lignes d’ambulances paralysées devant les hôpitaux qui ne peuvent plus accueillir de patients (https://theprint.in/health/gasping-patients-wait-in-ambulances-ahmedabads-largest-covid-facility-has-no-bed-for-them/639734/) . La maladie ayant été perçue comme plus ou moins disparue (d’après le gouvernement entre autres), ou la désorganisation trop grande, la logistique nécessaire à l’acheminement de stocks d’oxygènes a été complètement défaillante (https://theprint.in/opinion/newsmaker-of-the-week/the-oxygen-story-exposes-how-india-breathed-too-easy-between-the-two-covid-waves/644991/). Les médecins appellent à l’aide sur twitter pour trouver des bonbonnes, la police escorte les camions qui les transportent, il y a des cas de vols d’oxygène, parfois par des proches de personnes malades qui font tout pour les sauver. Cet article raconte de tels vols : https://www.insider.com/india-covid-second-wave-oxygen-shortage-2021-4?utmSource=twitter&utmContent=referral&utmTerm=topbar&referrer=twitter.
Les médecins ont aussi indiqué des recommandations de positions physiques pour améliorer la circulation de l’oxygène dans le sang, chez soi, et réduire partiellement les besoins d’oxygène à l’hôpital (https://theprint.in/health/lay-on-belly-for-oxygen-aiims-patnas-new-covid-sop-skips-mention-of-remdesivir-favipiravir/644149/) .

Certains hôpitaux auraient actuellement 40% de leur capacité habituelle d’oxygène, quand ils parviennent à être livrés. Des proches de personnes malades essaient d’organiser la production de leurs propres cylindres d’oxygènes. Les hôpitaux sont obligés de refuser des patients et de trier les cas, faute de moyens ils ne peuvent faire autrement (https://theprint.in/health/have-to-beg-for-oxygen-again-delhis-jaipur-golden-hospital-says-200-lives-at-stake/645469/). Comme le souligne les auteurs de “Pandémopolitique”, le triage ne peut être réduit au seul moment où le médecin choisit tel patient plutôt qu’un autre ou ferme la porte d’un hôpital, il y a en amont toute une série de conditions structurelles, de situations de pénuries, de manques de moyens à toutes les étapes du soin qui provoquent les moments de triage. C’est une question qui structure toute l’organisation de la médecine et du système de santé.
Les médias rapportent de nombreux cas de personnes qui transportent leur proche d’hôpital en hôpital pour tenter de les faire accepter mais ils trouvent porte close. Le nombre d’infections explose, et le nombre de morts augmentent considérablement. Des crématoriums fonctionnent 24h/24.
Ce reportage donne quelques précisions sur la situation:
Pour revenir au triage, une décision américaine du 20 janvier 2021 effective depuis réduit la capacité de l’Inde à produire des vaccins. Les mesures entamées par Trump et prises par Biden introduisent une priorité américaine. Les entreprises de production des matériaux utiles aux vaccins, aux respirateurs et au matériel médical en général doivent prioritairement fournir le territoire américain, quand bien même ces entreprises sont installées en dehors des États-Unis:
On the first two working days of the Biden administration, on January 20 and 21, 2021, the president signed Executive Orders 13987 and 14001. The aim of these measures was to ensure “a sustainable public health supply chain.” In effect, this meant that manufacturers in the United States, and those registered in the United States but based in Europe and other parts of the world, needed to prioritize supplies for the domestic market within the United States.
Given the globally connected nature of supply chains, Biden’s vow has had other anticipated effects. It means that products like bags and filters, cell culture medias, single-use tubing assemblies, and other raw materials crucial for the production of vaccines in other parts of the world, and especially in India, may face imminent supply constraints.
https://carnegieindia.org/2021/04/23/to-friends-in-united-states-facilitate-global-vaccine-manufacturing-pub-84392
Des exigences sont portées pour dans l’urgence actuelle changer ce système de priorité. L’exemple ici porte sur les États-Unis mais il est fort probable que des mesures européennes ou françaises jouent le même genre de rôle. Nous ne pouvons en tout cas que constater le peu de réactions internationales en solidarité avec la situation indienne, la mesure principale consiste à fermer les frontières et à multiplier les discours alarmistes sur le variant indien, comme si le virus pouvait être maitrisé par la logique immunitaire appliquée par la police des frontières.
Cette vidéo de reuters insiste sur la pénurie d’oxygène:
On peut consulter également ce court diaporama de photos de la situation actuelle:



Cet article témoigne également de l’urgence de la situation:
Il est encore trop tôt pour connaître le nombre de personnes touchées et l’état de la situation à l’échelle du pays entier. L’India Times indique au moins 2760 morts dans les dernières 24h (https://timesofindia.indiatimes.com/). On peut supposer que le nombre réel est bien plus grand, compte tenu du manque d’oxygènes un peu partout et de la surcharge hospitalière.
‘We’ve only been here a few hours and have seen half a dozen people die while they wait for treatment.’ India has recorded more than 332,000 #COVID19 cases in a single day. @AlexCrawfordSky reports from Delhi, where people are “begging for oxygen.” https://trib.al/mSC8P3Z
Il y a encore très peu de temps Didier Raoult repassait à la télé sur BFM. Il réaffirmait qu’il n’y avait pas de hausse de la mortalité en 2020 et que 80% des personnes atteintes seraient de toutes façons mortes dans l’année. Selon lui, “nous n’avons jamais eu dans l’histoire de l’Humanité une proportion de population aussi âgée”, il ne faudrait dès lors pas dramatiser ce virus qui n’est finalement qu’une manière de faire un peu le vide parmi les vieux de ce monde (https://www.bfmtv.com/sante/pour-didier-raoult-il-y-a-eu-moins-de-morts-parmi-les-moins-de-65-ans-en-2020-qu-en-2019-ou-en-2018_AV-202104160038.html). Ils sont si nombreux depuis mars 2020 à minimiser le virus, principalement pour mieux justifier leur critique du gouvernement et pour insister sur la menace biopolitique que représente les mesures. Dans cette perspective, quoiqu’il arrive, le remède est pire que le mal et toutes les minimisations sont acceptées et justifiées. Ces critiques mobilisent le plus souvent de grands chiffres pour indiquer que les autres pandémies ont eu une plus forte létalité, ou que finalement cela ne tue que quelques pourcentages etc. Paradoxalement, les positions les plus critiques de la “biopolitique” viennent alors s’appuyer sur des perceptions statistiques et des évaluations à l’échelle populationnelle. Adopter le point de vue des mesures d’État ne devient plus un problème.
Nous ne voulons pas entrer dans ce débat, ni dans la manipulation des chiffres. Il nous semble important au contraire de souligner l’incertitude sur ce qu’est le virus, et ce qu’il peut faire, et l’absence de solutions miracles. De toute évidence, l’Inde devrait avoir plus d’oxygène, plus de moyens, par exemple, mais à partir d’où et comment relayer cette position? Comment renforcer les appels à la solidarité internationale plutôt que de donner des leçons ? Devrait-on sinon parler du fait que finalement ce sont sûrement des vieux, des pauvres, des fragiles indiens qui sont touchés? Poser ainsi le problème place dans une perspective de gestion, dans la perspective d’un point de vue tout à fait extérieur à la situation et ici aux multiples drames que vivent chacune des personnes confrontée de près ou de loin en virus en Inde.
Il y a par contre urgence :
- Pour faire reconnaître la gravité de la situation en Inde, et ne pas avoir à débattre si toutes les photos sont fausses, si les morts sont exagérés ou non, si le virus existe ou pas, mais pouvoir s’accorder massivement sur le fait que quelque soit l’ampleur réelle du virus des dizaines de milliers de personnes et bien plus sont actuellement menacées.
- Ne pas laisser s’imposer des mesures policières et immunitaires de fermeture des frontières qui ne visent qu’à prétendre gérer la situation et ne s’accompagnent d’aucunes solidarité internationale, d’aucuns soutien matériel, d’aucun partage des vaccins et des moyens de les produire. La gravité de la situation ne concerne pas que l’Inde, on peut lire de nombreux articles sur l’Irak et bien d’autres pays, pour ne prendre qu’un seul exemple.
- les infos sur la situation en Inde manquent cruellement, en langue française comme en langue anglaise.
La lecture immunitaire du variant indien qui serait soudain menaçant, et qui expliquerait à lui tout seul la catastrophe en cours est une impasse. C’est une logique qui permet à Raoult et à chaque gouvernement du monde de se dédouaner de toute minimisation du virus en disant que finalement il s’agit d’un autre virus, d’un variant qui serait soudain plus contagieux plus méchant etc. alors qu’avant tout allait bien. De nombreux virologues et épidémiologues se montrent beaucoup plus prudents. Il reste encore très difficile d’isoler l’ensemble des variables et d’expliquer la situation par une infectiosité accrue du virus. Par exemple, d’après cet article ci-dessous:
It was inevitable the virus would roar back. Indians turned out to be as susceptible to Covid-19 as everyone else. I was one of the researchers for the world’s largest Covid-19 contact tracing study last year, covering over 660,000 people in two southern Indian states. We found that an early lockdown — it began when there were fewer than 1,000 reported cases — had kept the virus under control.
The risk of getting infected through exposure to someone with the coronavirus is no different in India. The proportion of people who died after a Covid-19 diagnosis is lower in India compared with many other countries. But that is simply because 65 percent of Indians are under 35 years old.
Indians with Covid-19 ages 40 to 70 were more likely to have died in India because of the high prevalence of comorbidities like hypertension, diabetes and respiratory disorders. Covid-19 patients in our study in their 40s in India were twice as likely to die as Covid-19 patients in the corresponding age group in the United States. The rate was 75 percent higher in India than in the United States when we compared patients in their 50s.
The first wave of Covid was concentrated in poor urban areas, from which it dispersed to rural population centers. Although we don’t have hard data on the socioeconomic status of those infected during the second wave, cases now seem to have reached the middle class and rural India.
https://www.nytimes.com/2021/04/20/opinion/india-covid-crisis.html
Il était inévitable que d’autres vagues frappent, et peut-être que la situation présente tient aussi au contre-coup de reprise des événements collectifs, d’absence de soin au long cours ou d’aération contre le virus. Au Brésil, Bolsonaro et son gouvernement n’ont rien fait contre le virus, il est difficile de savoir si la crise actuelle au Brésil tient à une mutation du virus ou à l’absence de politique de santé publique depuis mars 2020.
Dans ses réguliers podcasts, le virologue allemand Christian Drosten se montre en partie confiance par rapport aux variants car même si le virus connaît des mutations, elles sont finalement relativement peu nombreuses voire stables, et il semble d’après les premières études que notre système immunitaire réagit d’une façon relativement similaire face aux différents variants. Cela peut supposer que les vaccins et les anticorps permettent quoiqu’il arrive une forme d’immunité et de protection contre les formes graves.
Et c’est intéressant quand on se rend compte de ce qui se cache probablement derrière cela sur le plan immunologique et évolutif. C’est juste comme ça, les gens du monde entier réagissent de manière très similaire lors de leur première formation d’anticorps contre ce virus, quel que soit le groupe de virus qu’ils attrapent actuellement et qui circule dans le pays. Et c’est pourquoi la réaction du virus est très similaire et toujours parallèle, quel que soit le patrimoine génétique du virus. Ce sont toujours les mêmes variants d’échappement qui apparaissent. Et ils peuvent également être tracés en laboratoire. Cela a également été fait ici dans cette étude avec un virus modèle, avec un pseudotype. Étonnamment, ce sont toujours les mêmes variants qui font un escape et qui sont ensuite protégés contre cette immunité des cellules B un peu plus mature. Cela conduit à supposer et à espérer que la liberté dont dispose ce virus pour se développer davantage est relativement faible au début. Sinon, le même groupe de mutations ne se produirait pas toujours indépendamment dans le monde. Il s’agit apparemment d’une pression immunitaire relativement uniforme qui est déclenchée par des personnes du monde entier sur le virus. Et le virus y réagit toujours de la même manière.
https://inf-covid.blogspot.com/
Cela pourrait signifier que nous pouvons entrer dans un régime de croisière assez rapidement si nous avons une situation de vaccination comme avec la grippe, dans une situation endémique. En principe, nous n’avons qu’un update à faire. Ainsi, toute la population est protégée par une première vaccination ou un premier contact avec le virus, de manière très, très durable. Et puis, vous devrez encore vacciner à nouveau les groupes d’indication qui ont besoin d’une immunité spéciale, à savoir les personnes âgées, ou les femmes enceintes. Je ne sais pas encore ce qu’il en sera pour les enfants plus tard, personne ne peut le dire pour le moment. Et puis la question serait de savoir s’il y aura une situation à long terme comme celle de la grippe, où nous avons ces changements typiques de l’antigénicité. Parce que le virus en circulation est constamment renouvelé et remplace l’ancien.
Ou si nous avons une situation très stable qui s’installe après quelques années, de sorte qu’il ne sera peut-être pas nécessaire de continuer à renouveler le vaccin, comme c’est le cas avec la grippe. Ce n’est pas encore clair pour le moment. Mais d’après cette étude, qui laisse à penser que la marge d’évolution du virus est relativement limitée, et que la réponse du système immunitaire humain est très uniforme. […] Les vaccinations que nous avons actuellement contre le SRAS-2 sont bien meilleures en termes d’efficacité que la vaccination contre la grippe. Pour cette raison, pour le moment, non par considérations évolutives et immunologiques, je suis plus enclin à croire que nous n’aurons pas besoin de vaccins constamment renouvelés à long terme. Je suppose qu’il faudra revoir les vaccins au vu de ce qui émerge actuellement, notamment le variant sud-africain, qui émergera dans le monde entier en tant que variant d’évasion. Mais je pense qu’après cette première mise à jour, nous pourrions avoir un long répit, et que les vaccins qui seront alors disponibles pourront le rester pendant longtemps. Et qu’il faudra plutôt réfléchir à qui devra les recevoir chaque année? Sans doute pas toute la population.
L’immunité est une chose complexe et globalement incertaine. Il y a au moins deux dimensions toutefois, les anticorps et les cellules T. D’une part, il ne faut pas seulement regarder les anticorps (détectés par la sérologie par exemple) mais aussi les cellules qui produisent des anticorps, surtout les cellules T qui ont une mémoire. On peut ne pas avoir d’anticorps, dans le sang (invisibles dans un test sérologique), mais une mémoire dans les cellules T, et face à plusieurs variants des études montrent que de par ces mémoires immunitaires les réactions des cellules T et de la sécrétion d’interféron qui en découle ne varient pas beaucoup (pour rappel, le cas grave c’est notre système immunitaire qui devient fou et qui sécrètent beaucoup trop de cytokines (les interférons sont des protéines de la famille des cytokines)). Dans cette perspective, la vaccination reste efficace.
Pour l’instant, malgré les variants, il semble que les mutations du virus soient relativement stables et peu nombreuses. Le variant brésilien ressemble beaucoup à celui d’afrique du sud car ils ont à peu de choses près les mêmes mutations. La bonne nouvelle dans tout ça c’est que la réaction immunitaire, de notre côté, est globalement la même peu importe les variants, ce à grande échelle. « Ce sont toujours les mêmes variants d’échappement qui apparaissent ». Et ça, cela tiendrait au fait que la liberté d’évolution du virus n’est pas si grande. Même si on a une pluralité de variants, ce sont relativement toujours les mêmes mutations qui se produisent, donc la pression immunitaire est relativement uniforme par des personnes du monde entier sur le virus, « le virus y réagit toujours de la même manière. ».
Certes, dans quelques années le virus pourrait devenir endémique, sauf que cela peut prendre beaucoup beaucoup de temps et surtout que cela n’arrive pas “naturellement”. Un virus ne devient pas par lui-même endémique et inoffensif. Il faut qu’une protection lui fasse face, soit à la suite d’une première infection (et au développement d’anticorps), soit à la suite d’une vaccination.
« Après cela, le même virus qui peut causer une infection grave chez un patient immunologiquement naïf devient soudainement un virus du rhume inoffensif. C’est [ainsi] pour l’écrasante majorité des immunologiquement naïfs, il s’agit d’un virus inoffensif. On oublie toujours que l’évolution normale est bénigne. Et que seuls certains des infectés ont une évolution sévère. Mais il y en a tellement dans une vague pandémique qu’on ne peut le tolérer. » (Drosten).
On ne peut que constater que tout comme dès mars 2020 il était énoncé et anticipé que le virus revienne à l’automne et se répande plus largement, les virologues annoncent depuis longtemps que le virus va connaître des mutations, et que les variants sont inévitables. Après plus d’un an de pandémie, c’est encore la réaction à l’urgence qui domine les discours, une grande part des médias présente effectivement les variants indien et brésilien comme de nouvelles menaces terribles. L’urgence est bien réelle, à l’évidence, mais cette même urgence s’inscrit aussi dans un temps qui commence à être bien plus long et que les gouvernements semblent continuer de préférer prétendre gêrer à la petite semaine, dans l’instantanéité des nouvelles. Il y a tout un enjeu à imposer une autre temporalité, et d’autres modalités de réponses que la fermeture soudaine des frontières dans l’absence totale d’anticipation. L’urgence de répondre à la situation indienne n’en est pas moins grande, elle l’est d’autant plus qu’une aucune solution magique ne résoudra la crise pandémique actuelle en quelques semaines ou quelques innovations techniques.